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La notion de mémoire est centrale dans mon travail. A travers mes recherches et ma production, je tente de la questionner en tant que condition nécessaire à notre identité, et en tant que prolongation de soi qui comporte sa part de failles et d’oublis, de réminiscences et d’obsessions. Le dessin me permet, par l’image et par le geste, de tisser des liens entre différentes temporalités.

Dessiner c'est pour moi "refaire" avec des crayons et plus encore avec des gestes, ce [et ceux] qui existe[nt] dans le monde tangible, ou plutôt, déjà inévitablement , ce qui a existé. C'est une façon de doubler la réalité, de lui donner un nouveau corps . Dessiner c'est le besoin d'absorber le réel perçu , d'entrer en résonance avec lui, c'est m'en saisir physiquement, le faire transiter par moi, avant de le faire naître à nouveau, pas tout à fait identique, mais devenu nouvelle preuve de son existence par la transition parcourue et les nouvelles traces mémorielles engendrées. Ainsi le passé au niveau de l'expérience individuelle ne l'est plus tout à fait. La théorie de la relativité restreinte qui nie un écoulement linéaire du temps et affirme la coexistence du passé du présent et du futur inspire beaucoup ma pratique.

Je travaille d'après des photographies, soit en faisant poser mes modèles, soit en puisant dans l'album familial d'anciens clichés vernaculaires et anodins. Le temps-intervalle, entre l'instant de fixation qu'est la prise du cliché et le moment de la restitution, fait pour moi lui-même partie de l'œuvre. Les dessins sont réalisés au crayon graphite sur des papiers choisis avec attention, que je teins et tends tels des toiles sur des châssis, permettant au dessin de se soustraire des contraintes de l'encadrement et au papier d'exister dans sa matérialité et sa sensualité. Présentés sans interface, les travaux placent le regardeur dans un rapport intime à l'œuvre. Il ne s’agit alors plus simplement d’images, mais d’objets, comme autant de fruits d’un travail archéologique. Il s’agit aussi souvent de mobiliser le savoir-faire de l’œil et de la main concernant la restitution et l’agrandissement de ressources photographiques parfois petites et de piètre qualité, ou dénuées de négatif.

Aujourd'hui les images d’archives, le plus souvent personnelles, prennent une place importante dans ma recherche. Leur retranscription me permet la réappropriation et la réécriture d’une histoire familiale marquée par la perte et l’oubli .

Le peintre Thomas Lévy-Lasne dit de la peinture qu’elle « parle du réel avec les outils du réel » et il en va pour moi de même avec le dessin. Néanmoins si la mémoire traumatique fige le souvenir, une mémoire sans trouble transforme, et mon travail ne peut exclure un désir de réappropriation qui l’éloigne de la simple réitération. C'est une sorte de re-fabrique du souvenir qui revendique sa part sensible et assume le besoin d'engendrer du beau.

La question de la mémoire, des intrications des mémoires individuelles et collectives, est traitée aujourd’hui par de nombreux artistes plasticiens comme Julia Andreani, Rebeka Tollen ou Nicolas Daubane, et si à l'instar de la peintre Julia Andréani il est pour moi question de "restituer des présences" et ainsi en un sens de combler des failles mémorielles , il s'agit aussi pour moi d'accueillir ces failles, de tenter d'en faire trace, de permettre aux béances d'exister. En créant des espaces de contemplation poétiques à même de susciter des interrogations, je souhaite en quelque sorte déléguer au regardeur le pouvoir de combler les manques de mon histoire personnelle par ses propres projections.

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Le langage des amandiers sauvages

2021 - crayon graphite et encre, vernis, sur papier tendu sur châssis 60x80x4cm

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